Extrait d'un commentaire du 50 km classique en chrono des jeux de Grenoble en 1968.
Les coureurs de fond s'appellent les fondeurs. C'est un cadeau du langage, comme s'ils faisaient fondre la neige à force d'avancer sur elle. Comme si leur force était cousine de celle des ouvriers du bronze et de l'acier car ils sont forts? Incroyablement. Mais cette force s'exerce dans la solitude.
La course de fond s'accomplit hors du public, à l'exception d'un petit rassemblement au départ et à l'arrivée. Les départs sont échelonnés, pas de lutte au coude à coude, tout se passe entre le coureur et lui-même. Lorsqu'il dépasse un autre concurrent ou est dépassé par lui, c'est une rencontre comme celle qu'on fait en forêt, brève et tout de suite absorbée par le silence. Sport sans témoin, sans rivaux, longue méditation du corps. La course de fond est aussi le seul sport qui n'ait rien changé à son modèle originel, même le marathon ne se court pas tout à fait comme dans la vie, même si l'on est berger. Ici le ski continue d'être le moyen de locomotion des nordiques. La forêt continue d'être le seul terrain qui le permet.
C'est la seule discipline où les rapports entre l'homme, ses gestes, son matériel et la nature soient restés ce qu'ils étaient, avant le sport? La seule différence c'est que l'effort naturel y est poussé à ses limites extrêmes. Extrêmes d'endurance, extrêmes de régularité, extrêmes de fatigue aussi. A l'arrivée les visages ont vieilli de 10 ans.
Mais d'abord un mouvement perpétuel de bras, de jambes, de tête, de bâtons, la fascination d'une gamme à exécuter sans perdre le rythme sur un clavier de 50 km !